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Tommy Lee Jones
7 octobre 2007

Interview des Fiches du Cinéma

Source : Les Fiches du Cinéma.


  Interview des Fiches du Cinéma


L’homme est bourru. La tête baissée, concentré sur les gribouillis qu’il s’évertue à dessiner pour mieux snober les questions de l’interviewer, il n’hésite pas à jouer les malotrus. Et puis, l’épreuve de force passée, il finit par se révéler, dense, riche, direct et touchant. Une sorte de concentré de la complexité du personnage : figure marquante de blockbusters US (de Men In Black au Fugitif en passant par Batman Forever ou JFK), il signe un premier long-métrage inattendu, étonnant de sensibilité et de profondeur humaine. Une réjouissante surprise.

Fiches du Cinéma : Votre film s’attache à Melquiades Estrada, attachant exilé clandestin mexicain, et au parcours expiatoire et initiatique de son assassin, des États-Unis aux terres arides du nord du Mexique. Le Mexique et sa culture revêtent une importance particulière pour vous ?

Tommy Lee Jones : C’est effectivement un peuple et une culture qui me sont très chers. Je suis un gosse de l’Ouest du Texas, état voisin du Mexique. J’ai grandi dans une société biculturelle et, tout naturellement, j’ai eu envie de faire un film sur ma région et ma (mes) culture(s)...

FdC : Quelle image essayez-vous de transmettre du Mexique ?

Tommy Lee Jones : Déjà, je ne voudrais pas me contenter d’une seule image... Je n’ai pas fait ce film pour supporter une campagne publicitaire, ni réaliser un catalogue touristique ! Nous souhaitions, avant tout, dresser un tableau assez réaliste. Il s’agissait de refléter deux cultures, deux modes de vie, et de montrer que, de chaque côté de la frontière, beaucoup de choses sont identiques. Mais aussi, de montrer le poids de cette frontière : ses enjeux émotionnels, économiques, sociologiques...

FdC : En toile de fond, il est aussi question de pauvreté...

Tommy Lee Jones : Il y a différentes sortes de pauvretés. Les scènes situées au Mexique parlent peu de pauvreté ; elles parlent d’un sentiment de communauté. Et les scènes tournées côté états-unien, dans cette ville de taille moyenne, parlent d’une détresse sociale et, surtout, spirituelle, malgré une vie matériellement satisfaisante. La ville ne manque pas de centres commerciaux, massifs. Profondément tristes aussi. Néanmoins, je ne veux surtout pas imposer de généralités : il y a des gens formidables et des connards des deux côtés de la rivière !

FdC : L’émigration est un élément clef de la construction des États-Unis. Pourquoi avoir choisi d’en dresser une vision si sombre ?

Tommy Lee Jones : Je réfute la réflexion générique. Je ne veux faire passer aucun message. Je ne cherche d’ailleurs pas à parler d’émigration à proprement parler. Il n’est pas question d’un émigrant, il est question d’un homme : Melquiades Estrada.

FdC : Melquiades a préféré s’inventer un fantasme de bonheur pour mieux accepter sa vie. Votre personnage comprend et accepte son “mensonge”. Cette relation d’amitié et de confiance n’est-elle pas presque aussi importante que ce parcours humain ?

Tommy Lee Jones : Elle est effectivement très importante. La dimension de foi est au centre du récit. La foi c’est ce que vous savez être vrai, que vous y croyiez ou non. Pour moi, il est question ici de foi, et non de mensonge. À ce sujet, une scène me semble particulièrement forte... Les deux hommes sont au milieu de nulle part, ayant laissé derrière eux toutes les contingences de ce monde. Mike, le garde-frontière, est abattu, épuisé, vidé. Il gueule à Pete, mon personnage : « Mais tu vois bien que ce putain de bled n’existe pas ! ». Pete lui répond : « Mais si, il existe... ». Parce qu’il comprend ce que ce “village” représentait pour Melquiades... La caméra prolonge son regard, le temps d’un long et lent panoramique de gauche à droite. Il y a évidemment une dimension clairement métaphorique. Pour Melquiades, ce village représentait son pays, la terre des désirs du coeur, la paix sur Terre... Le Jardin d’Eden ! Et, lorsque la caméra balaie la vallée, Pete voit le village. Il sait qu’il existe. Et Mike a beau dire : « Mais réveille-toi, il n’y a que des rochers ! », Pete croit. Tout ça est fou, mais il croit. Et sa foi crée la ville. C’est évidemment profondément triste, cela relève même probablement de la démence, mais Pete est vraiment content d’être arrivé “chez Melquiades” ! Il s’émeut de la maison, de la boutique, du jardin, etc. « Mais ce sont que des rochers ! » Mais ce que Pete voit, c’est un village !... Tout ça pour dire que c’est un peu plus compliqué et riche que le vulgaire mensonge d’un cow-boy mexicain !

FdC : Pour que l’on puisse croire à ce Jardin d’Eden sur Terre, il faut l’imaginer, l’inventer ?

Tommy Lee Jones : Croire c’est voir ! Il y a certainement un peu de ça...

FdC : Vous pensez donc signer un film plus spirituel qu’humain ou social ?

Tommy Lee Jones : C’est un peu tout ça à la fois ! L’une des doctrines actuelles aux États-Unis pourrait être “Voir, c’est croire” et ce film s’attache à une vision opposée.

FdC : Il peut sembler curieux qu’une personnalité phare de Hollywood (qui est plutôt réputé pour sa légèreté, voire sa superficialité) devienne un cinéaste en quête de tant de profondeur...

Tommy Lee Jones : Mais, je crois que Trois enterrements est aussi un divertissement ! Je vois beaucoup de gens rire... La dimension visuelle peut aussi être de nature à faire rêver. Bref : “Have fun !”

FdC : Comment s’est opéré le mariage d’écriture entre Guillermo Arriaga et vous ?

Tommy Lee Jones : Sitôt que nous nous sommes mis d’accord sur l’idée du film, son cadre et ses enjeux centraux, Guillermo est rentré à Mexico City et a écrit un premier traitement. Il l’a fait traduire en anglais par un de ses cousins et me l’a adressé. J’étais sceptique. J’ai embauché trois traducteurs différents. J’ai synthétisé ces quatre traductions successives, les transformant parfois au passage, jusqu’à satisfaire mes oreilles. Puis, Guillermo est venu me rejoindre à San Antonio et, ensemble, nous avons retravaillé plein de petites choses pendant deux semaines. Puis ce fut mon tour de me rendre à Mexico... Ce fut une collaboration totale, ce qui, à mon sens, devrait toujours être le cas entre un réalisateur et son scénariste. Mais j’aimerais aussi vous parler de la personnalité de Guillermo. Selon moi, cet homme est véritablement un ange. Depuis toutes ces années que je le connais, je ne l’ai jamais vu élever la voix, être en colère, de mauvaise humeur, ou même négatif. Il est d’une incroyable tendresse avec sa femme et ses enfants. Sa sensibilité m’impressionne : c’est un vrai poète, totalement sincère.

FdC : La dimension de musicalité semble très importante pour vous à l’étape du scénario. Vous travaillez beaucoup “à l’oreille” ?

Tommy Lee Jones : Oui. Je suis très attentif à ça. J’ai toujours surveillé de très très près la musique et la poésie des dialogues. Certaines lignes de dialogue me semblent profondément musicales... De la grande musique ! Normal, donc, de travailler “à l’oreille”. Ce que nous nous sommes efforcés de faire aussi au moment du montage.

FdC : Votre parcours d’acteur n’a-t-il pas joué un rôle essentiel dans cette recherche du dialogue juste ?

Tommy Lee Jones : Oui, sans doute. Mais pas plus que mon éducation, ou mes études de poésie, de littérature, d’art ou d’architecture. Ou que mes premières expériences de réalisateur !...

FdC : Comment l’acteur Tommy Lee Jones juge-t-il son réalisateur Tommy Lee Jones ?

Tommy Lee Jones : C’est un mec avec qui il est facile de travailler. Très facile. Il faut dire que je m’y étais bien préparé !... Plus sérieusement, il m’est très difficile de juger mon travail de metteur en scène. J’adore réaliser, ça c’est sûr. Et je crois que j’ai vécu, avec ce film, les plus beaux jours de ma vie professionnelle !

FdC : Ça veut donc dire que nous aurons d’autres films réalisés par Tommy Lee Jones ?

Tommy Lee Jones : Ah, je l’espère vraiment. Et j’y travaille ! J’ai quatre scripts sur le bureau de ma chambre d’hôtel. Deux livres en cours de lecture... Je cherche avec assiduité une nouvelle piste et j’espère pouvoir y retourner rapidement.

FdC : Vos personnages sont souvent des bourrus-bougons au grand coeur. Vous avez aussi la réputation d’être une personnalité publique à la fois drôle pince-sans rire et tête de lard. Vous jouez de cette palette ou êtes-vous proche de cette dualité ?

Tommy Lee Jones : Vous savez, une réputation n’est jamais qu’une réputation ! Et on doit faire avec... même si elle est fausse. Cela fait partie intégrante de notre boulot. Mais, bien souvent, ces réputations naissent de façons pas toujours très avouables et proviennent de journalistes qui, eux-mêmes, cherchent surtout à rendre spectaculaires leurs papiers !

FdC : Vous n’êtes pas un peu ce cow-boy, dur mais sincère, qui donne sa vie pour ses amis ? Qu’il soit “cow-boy mexicain” ou “Space cow-boy”...

Tommy Lee Jones : Déjà, pour commencer, il n’y a pour moi aucun parallèle entre des deux personnages... Ensuite, je ne me qualifierais certainement pas de cow-boy. Je sais ce qu’est un cow-boy : j’en emploie beaucoup, et je sais faire chacune de leurs tâches. Ma famille travaille dans ce business depuis 8 générations... Pour mériter d’être appelé cow-boy, il faut vivre nuit et jour avec les chevaux et les vaches. Je sais trop bien ce que ça veut dire. Ce n’est pas une métaphore !... Croyez-moi, ça n’a rien à voir avec l’image qu’en donnent le cinéma ou les médias !

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